HACKER À L’HUILE

Resistance, H 89cm et L 116cm, Huile sur toile, 2016

À 36 ans, Blase restaure et détourne des tableaux du XVIIe au XIXe siècle à la sauce pop culture pimentée. Portrait.

Un sticker à cinq lettres orangées. Un petit tour sur la toile plus tard, on tient notre sujet. Sans tergiverser et armé d’un franc-parler décontracté, Blase s’est confié sur sa vie et son œuvre. On a découvert un énergumène qui n’a pas son pareil dans le milieu artistique contemporain. Le genre d’autodidacte qui prend les choses comme elles viennent. Sans trop se poser de question. Fonctionnant à l’intuition et à l’impulsion.

Le parcours déjà. Fils de brocanteurs, cet Auvergnat grandit entre les marchés aux puces et les fourneaux familiaux. La bouffe devient d’ailleurs une vocation, sinon une alternative, après avoir mis un stop à l’école assez tôt. Un BEP en cuisine et au boulot. Avant de partir bourlinguer en mode baluchon de Manchester au Luxembourg en passant par l’Irlande. Pour finalement se poser à Paris et se lancer dans des études en histoire de l’art, à 23 ans. « J’ai tout de suite eu une appétence pour la partie technique et la restauration. » Redonner leur aspect d’origine à de vieilles toiles endommagées et délaissées devient alors la mission de celui qui a été élevé dans des déballages marchands. « Je tombe souvent sur un tableau de bonne qualité, mais défoncé. Il est invendable car il y a au moins 50 heures de taf dessus. Il est dans le purgatoire le truc ! » Ces tableaux, du XVIIe au XIXe siècle, Blase les pourchasse sans répit. « Je parcours 20 000 bornes par an, sur les rails, pour pêcher des tableaux. Chez des brocs, des antiquaires, dans des salles de ventes, des foires professionnelles… C’est tôt le matin. Souvent le lendemain d’une cuite. » Cette étape constitue ce que l’on pourrait dénommer comme la base du travail de l’artiste qui exposera l’an prochain à la Commission Européenne.

Entropy, H 211cm et L 275cm, Huile sur toile, 2016

Vient l’heure de la restauration. En atelier. Actuellement en déménagement vers le Xe arrondissement parisien. Le savoir-faire a été assimilé de façon autonome. Mettre la toile sur le châssis, la nettoyer, la rentoiler, réintégrer les pigments, mastiquer… Des opérations minutieuses et indispensables pour prétendre ressusciter ces oeuvres classiques et leur donner une seconde vie. C’est l’inspiration de l’artiste qui parle ensuite. Blase s’amuse à détourner le sens premier des toiles en y insérant des éléments modernes en tout genre. Slogans politiques d’aujourd’hui, accessoires de nos temps et symboles de notre ère de consommation peuplent les tableaux de celui qui considère que Gainsbourg a plus d’incidence sur ce qu’il fait que n’importe quel peintre. Le job se fait donc en musique, souvent sur un air de Miles Davis, et le tout est peint à l’huile. Hors de question d’évoquer ici Photoshop et autres procédés informatiques 2.0 que Blase balaie d’un revers de main. « Au départ, je fais les tests à l’ordinateur, avec un vieux logiciel Windows 97. Cela me suffit. J’ai investi dans une tablette graphique quand même. Ça me facilite la tâche comparé à la souris. Puis, je pars sur mes pinceaux. Je dois être sûr de moi à ce moment-là. T’as pas vraiment de Ctrl-z quand tu peins à l’huile. » Le résultat est précis et sarcastique. Les tableaux sont comme hackés. Et le message ? « Il n’y a pas de posture dans mon travail. Je le fais parce que cela me fait marrer. J’aime quand il y a une émotion. Cela peut être drôle ou dramatique. Je ne fais pas que des trucs trash, il y a des choses mignonnes aussi. C’est important d’être mignon, je ne suis pas un rageux ! »

Colucci 1840, H 65cm et L 54cm, Huile sur toile, 2012